Vers une Europe plus résiliente ! 

Dans un monde où les interdépendances entre infrastructures critiques et technologies numériques ne cessent de croître, les menaces pesant sur la sécurité et la résilience des États et des entreprises deviennent plus nombreuses et sophistiquées. Qu'il s'agisse d'attaques physiques, de cyberattaques ou de perturbations technologiques majeures, la capacité à prévenir et à réagir à ces événements est devenue un enjeu majeur pour l'Union européenne (UE). Consciente de ces défis, l'UE a entrepris une réforme ambitieuse de son cadre législatif, visant à renforcer la résilience de ses infrastructures critiques et du secteur financier. 

L'année 2022 a marqué une étape décisive dans ce processus avec l'adoption de trois textes majeurs : la Directive sur la résilience des entités critiques (REC) et la Directive sur la cybersécurité (NIS 2), transposées dans chaque Etat membre au plus tard en octobre 2024, et le Règlement sur la résilience opérationnelle numérique (DORA), applicable à partir du 17 janvier 2025. Ensemble, ces trois piliers constituent le cadre sur lequel l'Europe s'appuie pour mieux protéger ses infrastructures essentielles contre des menaces de plus en plus diversifiées, tant sur le plan physique que numérique.  

Cet article explore en détail ces nouveaux textes et leur impact sur la résilience européenne. 

I – Le nouveau cadre européen sur la résilience informatique 

A – La Directive sur la résilience des entités critiques (REC) 

Adoptée le 14 décembre 2022, la Directive sur la résilience des entités critiques (REC) est la réponse de l'UE aux menaces hybrides qui combinent attaques physiques et cyberattaques. Ce texte vient remplacer la Directive de 2008 sur les infrastructures critiques européennes, dont le champ d'application était limité à un nombre restreint de secteurs. Avec la REC, ce cadre est élargi pour couvrir désormais 11 secteurs essentiels, parmi lesquels l'énergie, les transports, la santé, l’eau potable et les eaux usées. 

L'objectif principal de la directive est d'améliorer la capacité des entités critiques à anticiper, prévenir et répondre à une large gamme de menaces. Cela passe par plusieurs obligations, tant pour les États membres que pour les entreprises. 

Pour les États membres de l’UE : ces derniers sont désormais tenus de désigner les entités considérées comme critiques sur leur territoire. Ces entités doivent respecter des obligations strictes visant à renforcer leur résilience face aux risques identifiés, qu’ils soient d’ordre physique, climatique, technologique ou cybernétique. Les États doivent : 

  • Élaborer des stratégies nationales de résilience qui incluent des mécanismes de supervision et des sanctions pour les entités non conformes. 

  • Surveiller et évaluer les risques nationaux, y compris les menaces hybrides, et s'assurer que les entités critiques sont préparées à y faire face. 

  • Collaborer avec les autres États membres pour partager des informations relatives aux menaces et incidents. 

Pour les entreprises opérant dans des secteurs couverts par la directive, celles-ci sont soumises à des obligations spécifiques, avec des responsabilités accrues en matière de gestion des risques. Ces entreprises doivent : 

  • Évaluer régulièrement les risques auxquels elles sont exposées, qu'il s'agisse de cybermenaces, de risques physiques, de changements climatiques ou de tout autre danger. 

  • Élaborer des plans de continuité des activités, afin de limiter les impacts des incidents majeurs sur leurs services essentiels. 

  • Travailler en collaboration avec les autorités nationales pour signaler les incidents et contribuer à la mise en œuvre des politiques de résilience. 

Les entités critiques doivent, par ailleurs, notifier tout incident perturbant leurs services essentiels et effectuer des contrôles et tests réguliers de leur capacité de réponse aux attaques. En cas de non-respect de ces obligations, des sanctions administratives et financières peuvent être imposées. 

La REC marque ainsi un renforcement sans précédent de la responsabilité des entités critiques, en les plaçant au cœur de la stratégie de résilience nationale. 

B - La directive NIS 2 

Parallèlement à la directive REC, l'UE a renforcé ses normes en matière de cybersécurité avec la Directive NIS 2, adoptée le 10 novembre 2022. 

Celle-ci est une révision de la première directive NIS (Network and Information Security) adoptée en 2016. Elle répond à la nécessité d’adapter le cadre réglementaire aux évolutions des cybermenaces.  

La Directive NIS 2 vise à harmoniser et à renforcer les normes de cybersécurité à travers l'UE, tout en élargissant son champ d'application à de nouveaux secteurs stratégiques. Ce texte poursuit trois objectifs majeurs : 

  • Accroître la cyber-résilience des États et des entreprises. 

  • Réduire les incohérences dans la résilience du marché intérieur, en assurant une application cohérente des règles de cybersécurité à travers l'UE. 

  • Améliorer la connaissance conjointe de la situation en matière de cybersécurité et la capacité collective des États membres à planifier et à réagir face aux crises cybernétiques. 

La Directive NIS 2 introduit plusieurs innovations notables par rapport à la première version du texte, parmi lesquelles : 

  • La suppression de la distinction entre Opérateurs de Service Essentiels (OSE) et Fournisseurs de Services Numériques (FSN). Désormais, les entités sont classées soit comme "essentielles", soit comme "importantes", en fonction de la criticité des services qu'elles fournissent. 

  • L’extension du champ d'application à de nouveaux secteurs : A l’échelle nationale, elle concernera des milliers d’entités réparties sur plus de dix-huit secteurs réglementés, touchant environ 600 types d’organisations différentes, des administrations de toutes tailles aux entreprises, des PME jusqu’aux groupes du CAC 40. 

  • La création d'un réseau européen d'organisations de liaison en cas de crises cyber (EU-CyCLONe), sous l'égide de l'Agence européenne pour la cybersécurité (ENISA). Ce réseau vise à renforcer la coordination entre les États membres en cas d'incident cybernétique majeur. 

La Directive NIS 2 met également en place un régime de sanctions administratives pour les entités qui ne respectent pas leurs obligations en matière de cybersécurité. Cela inclut des amendes pour non-respect des obligations de déclaration et de gestion des risques. Parmi les exigences figurent l'obligation pour toutes les entreprises concernées d'adopter une stratégie de sécurité robuste, couvrant l'ensemble des aspects liés à la gestion des risques et à la prévention des incidents. 

Les États membres ont jusqu'au 17 janvier 2025 pour informer la Commission européenne des règles et mesures adoptées, et jusqu'au 17 avril 2025 pour établir la liste des entités considérées comme essentielles et importantes. 

C- Le règlement DORA 

Le troisième pilier de ce cadre européen est le Règlement sur la résilience opérationnelle numérique (DORA), également adopté en 2022. Le secteur financier, qui joue un rôle central dans l'économie européenne, est l'une des cibles privilégiées des cyberattaques. Avec la transformation numérique rapide des services financiers, la multiplication des interconnexions entre systèmes et l'augmentation des attaques sophistiquées, l’UE a jugé nécessaire de mettre en place un cadre réglementaire spécifique pour renforcer la résilience numérique du secteur. 

Le règlement DORA impose des règles strictes aux entreprises du secteur financier, allant des banques aux assureurs en passant par les gestionnaires d’actifs, afin de garantir qu’elles puissent résister, réagir et se remettre rapidement de cyberattaques ou d'autres perturbations liées aux technologies de l'information et de la communication (TIC). 

DORA repose sur cinq piliers principaux visant à assurer la résilience des acteurs du secteur financier : 

  • Gestion des risques TIC : Les entreprises doivent mettre en place un cadre complet de gestion des risques TIC, incluant une gouvernance cohérente, des politiques de sécurité adaptées et une surveillance accrue des activités anormales. 

  • Gestion des incidents : DORA exige que les entreprises disposent d'un dispositif de gestion des incidents robuste pour détecter, gérer et notifier les incidents liés aux TIC de manière efficace. 

  • Tests de résilience : Les entreprises doivent régulièrement réaliser des tests de résilience opérationnelle numérique pour s'assurer que leurs systèmes sont capables de résister aux perturbations et aux cyberattaques. 

  • Gestion des fournisseurs tiers : Les prestataires tiers, considérés comme une source majeure de risques, doivent être rigoureusement supervisés. Les entreprises doivent mettre en place des mécanismes de suivi et d'évaluation continue de ces fournisseurs. 

  • Partage d’informations : DORA encourage une meilleure communication entre les acteurs du secteur financier, pour favoriser l'échange d'informations sur les cybermenaces et les incidents. 

Le règlement DORA s’applique à une large gamme d'acteurs du secteur financier, allant des banques aux fournisseurs de services de technologie financière. Il vise à harmoniser les pratiques en matière de gestion des risques numériques et à renforcer la coopération entre les États membres pour prévenir et répondre aux incidents informatiques.  

II - Une approche harmonisée pour une meilleure résilience 

A - Complémentarité des régulations pour une résilience complète 

Les trois textes législatifs — la Directive sur la résilience des entités critiques (REC), la Directive sur la cybersécurité (NIS 2) et le Règlement sur la résilience opérationnelle numérique (DORA) — constituent un ensemble cohérent qui reflète la volonté de l'Union européenne de renforcer la résilience de ses infrastructures critiques et de son secteur financier face aux menaces diverses et en constante évolution. Bien que chaque texte ait des objectifs et un champ d'application spécifiques, leur complémentarité permet d'adopter une approche globale et harmonisée pour sécuriser les infrastructures et les services essentiels. 

En effet, la force de ce cadre réside dans la complémentarité des régulations, qui couvrent à la fois les menaces physiques et numériques, garantissant une approche à 360 degrés pour sécuriser les infrastructures essentielles. 

B - Coopération accrue entre États membres : une clé du succès 

L'une des priorités mises en avant par ces trois textes est la nécessité de renforcer la coopération entre les États membres de l'Union européenne. Dans un environnement de plus en plus interconnecté, les menaces, qu'elles soient physiques ou numériques, ne s'arrêtent pas aux frontières nationales. Ainsi, une coopération plus étroite est essentielle pour garantir une sécurité collective. 

La Directive NIS 2 met un accent particulier sur cette coopération à travers la création d'un réseau européen d'organisations de liaison en cas de crises cyber (EU-CyCLONe). Ce réseau permet aux États membres de partager des informations en temps réel, d'améliorer leur coordination lors d'incidents cybernétiques de grande ampleur et de renforcer leur réponse collective aux crises. Ce modèle de coopération s'inspire de la nécessité d'une réponse concertée, où les États partagent non seulement des informations, mais également des ressources pour renforcer la cybersécurité dans toute l'Union. 

De même, la REC et le règlement DORA encouragent la collaboration entre les autorités nationales, les entreprises et les institutions européennes pour garantir une résilience maximale.  

C - Vers une approche proactive de la gestion des risques 

Autre changement majeur introduit par ce nouveau cadre législatif est le passage d'une approche réactive à une approche proactive et préventive de la gestion des risques. Au lieu d'attendre qu'une crise ou une attaque se produise, les entreprises et les États membres sont désormais encouragés à anticiper les menaces potentielles et à mettre en place des mesures de prévention rigoureuses. 

Par exemple, la Directive NIS 2 impose aux entreprises de réaliser régulièrement des tests de cybersécurité et des audits pour évaluer la robustesse de leurs systèmes. De même, la REC exige des simulations de crise et des tests de continuité des activités pour s'assurer que les infrastructures critiques peuvent continuer à fonctionner, même en cas de perturbation majeure. Ces tests réguliers permettent non seulement de renforcer la résilience des systèmes, mais aussi de sensibiliser les entités critiques et leurs employés aux meilleures pratiques de gestion des crises. 

Dans le cadre du règlement DORA, les acteurs financiers doivent également réaliser des tests de résilience opérationnelle pour vérifier la robustesse de leurs systèmes informatiques et leur capacité à faire face à des incidents cybernétiques. Cette approche proactive permet aux entreprises de mieux se préparer aux éventualités, réduisant ainsi l'impact potentiel des perturbations. 

En conclusion, l'adoption des textes REC, NIS 2 et DORA marque un tournant décisif dans la stratégie de l'Union européenne pour la sécurité et la résilience. Ce cadre législatif ambitieux impose des efforts substantiels aux entreprises et aux États membres, tant en termes de gouvernance, d’organisation que d’investissements technologiques. Toutefois, il est devenu indispensable face à la complexité croissante des menaces contemporaines. 

Les entreprises, en particulier celles opérant dans les secteurs critiques, devront adopter rapidement ces nouvelles exigences pour assurer leur conformité. Cela nécessitera des investissements dans des systèmes de cybersécurité avancés, des outils de gestion des risques et des dispositifs de résilience numérique. De plus, la supervision accrue des prestataires tiers et la mise en place de mécanismes de surveillance rigoureux contribueront à réduire les vulnérabilités liées à l’externalisation des services. 

Cependant, ces efforts sont non seulement nécessaires, mais ils représentent également une opportunité pour l'Europe de se positionner à l’avant-garde de la gestion des risques et de la sécurité, tant sur le plan physique que numérique. En adoptant une approche préventive, l'UE prépare ses infrastructures critiques et ses entreprises à faire face aux défis futurs. 

 

 

 

Suivant
Suivant

OSINT (Open Source INTelligence) : quel cadre légal ?