Protection et création d’un logiciel : retour sur le cadre légal et les bonnes pratiques
Application, système d’exploitation, matériel informatique, numérisation, gestion dématérialisée de l’entreprise (ERP) ou de la relation-client (CRM), cloud, objets connectés : impossible de se passer du logiciel qui est au cœur de nos vies professionnelles et personnelles.
Comment correctement protéger ses droits quand on est éditeur ? Comment garantir le transfert des droits au profit de l’entreprise quand on est DSI ?
Comment faire en sorte que le projet de développement se passe dans les meilleures conditions ? Comment anticiper les zones de risques et les couvrir en amont pour limiter l’aléa ?
Dans le monde de l’entreprise, deux situations se présentent :
- l’adhésion à des conditions générales du logiciel (type logiciel dit sur étagère) : dans ce cas, l’entreprise ne négocie rien. Elle adhère aux conditions de l’éditeur et bénéficie d’une licence d’exploitation. Elle ne possède donc pas le logiciel.
- la négociation d’un logiciel réalisé pour les besoins spécifiques de l’entreprise : dans ce cas, l’entreprise et l’éditeur doivent identifier les besoins et négocier les modalités de leur collaboration.
Il existe évidemment souvent des situations hybrides où, les éditeurs développent des briques spécifiques pour le client.
C’est le cadre de la négociation contractuelle qui nous intéresse ici. Nous souhaitons aujourd’hui vous présenter un bref aperçu de la législation relative à la protection des logiciels (1) et vous guider pas à pas sur les enjeux contractuels en la matière (2).
1. Comment protéger la propriété d’un logiciel ?
Le logiciel ainsi que son matériel préparatoire peuvent être protégés par le droit d’auteur comme étant des œuvres originales de l’esprit : on parle donc de propriété immatérielle (article L112-1 du Code de la propriété intellectuelle).
1.1. L’exigence d’une création de forme originale
La Cour de cassation est venue préciser en 1986 que :
« le caractère scientifique des programmes informatiques n'était pas un obstacle à leur protection par le droit d'auteur (…) qu'il y a lieu de voir dans l'organigramme, la composition du logiciel, et dans les instructions rédigées, quelle qu'en soit la forme de fixation, son expression, (qu’ainsi) le programme d'ordinateur ne constitue pas une simple méthode ».
D’après les juges de la Haute juridiction, l’originalité était en l’espèce caractérisée par :
« un effort personnalisé (de l’auteur) allant au-delà de la simple mise en œuvre d'une logique automatique et contraignante ». Cet effort était matérialisé par une structure individualisée et les logiciels développés portaient ainsi la marque de l’apport intellectuel de l’auteur (Cour de cassation, Assemblée plénière, 7 mars 1986, pourvoi n° 83-10477).
A l’échelle internationale, les Accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle énonce que « les programmes d’ordinateur qu’ils soient exprimés en code source ou en code objet, seront protégés en tant qu’œuvres littéraires en vertu de la convention de Berne » (article 10.1 des Accords ADPIC).
1.2. Propriété du logiciel : qui en est le titulaire ?
Vous l’aurez compris, si le logiciel est une œuvre de l’esprit, alors il appartient au développeur qui l’a créé.
Néanmoins, il existe une présomption de cession implicite des droits d’auteur à l’employeur lorsqu’un logiciel est créé par un salarié dans le cadre de ses fonctions ou sur instructions de l’employeur (article L113-9 du Code de la propriété intellectuelle).
Ainsi le développeur qui créé un logiciel pour son employeur, les droits patrimoniaux attachés à cette création n’appartiennent pas au développeur. Autrement dit, c’est à l’employeur de décider de la reproduction du logiciel, de sa modification et de sa mise sur le marché (article L122-6 du Code de la propriété intellectuelle). C’est également l’employeur qui tirera un intérêt financier de ce logiciel, sauf accord plus favorable dans le contrat de travail.
Les seules prérogatives concernées par l’employé sont les droits moraux attachés à l’œuvre logiciel à savoir le droit de divulgation et le droit à la paternité de l’œuvre (article L1221-7 du Code de la propriété intellectuelle).
Les exceptions :
- Le stagiaire : un stagiaire restera titulaire de tous les droits d’auteur portant sur un logiciel qu’il a créé dès lors qu’il n’est pas lié par un contrat de travail mais par une convention de stage (Cour de cassation, Chambre criminelle, 27 mai 2008, pourvoi n°07-87253).
- L’indépendant : cette relation n’est pas une relation couverte par le droit du travail. Il faudra alors strictement encadrer les droits attachés à la création.
Pour protéger le logiciel, aucun dépôt n’est nécessaire contrairement aux biens incorporels protégés par le droit des brevets, des marques ou des dessins et modèles.
Cependant, il est fortement conseillé à titre probatoire de déposer vos logiciels auprès de l’Agence pour la Protection des Programmes (APP). Pourquoi ?
· Ce dépôt donne une date certaine à votre logiciel et prouve votre titularité si vous êtes victime de contrefaçon
· Le dépôt à l’APP vaut pour toute la durée de protection du logiciel par le droit d’auteur (70 ans après la mort de l’auteur)
· Le dépôt à l’APP a une portée internationale
· L’APP garantit une conservation de votre dépôt sur ses serveurs situés en France (dépôt numérique) ainsi que dans des coffres confidentiels situés en France (dépôt physique)
2. Les enjeux contractuels d’une prestation liée à un logiciel
Lors de la rédaction d’un contrat portant sur un logiciel, il est de bonne pratique de définir chaque terme du contrat et notamment ce que les parties entendent par « anomalie ». Cela permet d’établir les responsabilités et obligations de chacun en cas de différend.
Par ailleurs, il existe des clauses essentielles auxquelles une dérogation pourrait mettre en péril l’activité à la moindre difficulté contractuelle en lien avec le logiciel.
Il existe de nombreux contrats en lien avec les logiciels.
La licence d’utilisation de logiciel (2.1.) ainsi que le contrat de développement d’un logiciel spécifique (2.2) nous paraissent être les contrats les plus intéressants en la matière. C’est pourquoi nos propos porteront sur ces deux contrats en particulier.
2.1. Licence d’utilisation de logiciel
Par ce contrat, l’éditeur de logiciel autorise son client à utiliser, diffuser ou modifier son logiciel pour un temps donné et selon une méthode donnée. L’éditeur reste propriétaire du logiciel.
On distingue la licence d’utilisation pour un logiciel installé physiquement sur l’ordinateur du client (on premise) du logiciel disponible à distance via Internet (Software as a Service -SaaS).
Une question essentielle revient fréquemment : peut-on résilier une licence d’utilisation à durée déterminée, avant son terme ?
La Cour d’appel de Paris a récemment condamné l’entreprise Arcelor Mittal à verser plus d’un million d’euros à son prestataire informatique pour rupture contractuelle abusive d’une licence d’utilisation et de maintenance de logiciel qui était conclue pour une durée de 5 ans. En l’espèce, le client reprochait à son prestataire des carences dans les développements du logiciel ainsi qu’un dépassement des coûts et délais convenus, mais n’en apportait pas la preuve. Le client avait résilié le contrat à durée déterminée avant son terme de 5 ans. La Cour a considéré que la rupture du contrat avant son terme était abusive et ouvrait donc droit à indemnités.
Dans le cadre d’une licence d’utilisation de logiciel, les négociateurs devront prêter une attention particulière aux points suivants :
La définition de la durée, les conditions financières et les délais d’exécution
- Prévoir des délais indicatifs – si le contrat est rédigé au profit de l’éditeur
- Prévoir des délais impératifs – si le contrat est rédigé au profit du client
La définition des niveaux de services attendus (Service Level Agreement) et les critères pour les mesurer
Exemples : taux de disponibilité des services, fiabilité du service, temps de réponse en matière d’assistance du fournisseur.
La protection de la propriété intellectuelle et la garantie en cas de contrefaçon
La sécurité et confidentialité des données
La clause de protection des données personnelles et la nécessité d’établir un avenant spécifiquement dédié en cas de sous-traitance.
La réversibilité : comment l’éditeur s’engage-t-il à garantir la continuité des services en cas de résiliation du contrat ? Quelles sont les modalités de transfert d’un éditeur à un autre afin que le client puisse récupérer toutes ses données hébergées dans le logiciel ?
2.2. Contrat de développements spécifiques
Par ce contrat, l’éditeur de logiciel développe un logiciel spécifique pour répondre aux besoins particuliers d’un client donné. L’éditeur reste néanmoins titulaire des droits sur le logiciel développé, sauf accord plus favorable. En effet, l’existence d’un contrat de service liant un auteur à un client n’emporte pas cession de droit d’auteur (article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle).
En ce sens, le Tribunal de Grande Instance de Paris a considéré qu’en l’absence de cession de droit de propriété sur un logiciel, le contrat de commande ne s’analyse qu’en un contrat de louage d’ouvrage et ne permet pas au client d’exploiter le logiciel au-delà de l’accord contractuel (TGI Paris, Ordonnance de référé, 10 avril 2002).
Que faire en cas de dysfonctionnements d’un logiciel développé spécifiquement pour un client ?
Par un jugement du 21 janvier 2021, le Tribunal de commerce de Vienne a condamné un développeur à verser 8000 euros des dommages-intérêts à son client par suite de dysfonctionnements d’une application. Le tribunal a rappelé que dans le cadre d’un logiciel spécifique développé pour les besoins d’un client, le prestataire est tenu à une obligation de résultat quant à la délivrance d’un logiciel conforme au cahier des charges.
Peut-on pour autant résilier le contrat ? En l’espèce le tribunal n’a pas prononcé la résolution du contrat car le client n’a pas rapporté la preuve de la gravité des manquements. Or, une partie des difficultés rencontrées par le client était due à une mauvaise coopération entre les contractants mais aussi à l’évolution des demandes du client.
La Cour de cassation avait déjà précisé par le passé que pour résilier un contrat de développement spécifique, le manquement du prestataire devait être d’une particulière gravité (Cass. com., 22 janv. 2008, n° 07-11.050).
En outre, le Tribunal de commerce de Paris a statué fin 2020 sur un contrat de développement suivant la méthode Agile (collaboration étroite entre prestataire et client avec construction du projet au fur et à mesure des échanges et adaptation constante). Dans cette espèce, les juges ont considéré qu’en l’absence d’un cahier des charges, le prestataire informatique dépend des besoins et objectifs spécifiques du client tel qu’il les a exprimés. Or, ce dernier ne les avait pas précisément exprimés. Le Tribunal a considéré que les erreurs relevées, et réponses parfois tardives du fournisseur de logiciel ne présentaient pas de caractère anormale en l’absence de cahier des charges (Tribunal de commerce de Paris, 8e ch., 7 octobre 2020, Oopet c/ Dual Media Communication).
Morale de l’histoire : n’oubliez surtout pas d’établir un cahier des charges, précis et complet !
Dans le cadre d’un contrat de développement de logiciel spécifique, les négociateurs devront prêter une attention particulière aux points suivants :
La détermination de l’objet à délivrer, les conditions financières et les délais de réalisation de manière précise (fonctionnalités, objectifs et besoins spécifiques du client, moyens techniques et humains, matériel adapté aux besoins du client, évolutions futures envisagées) - à reporter dans le cahier des charges en annexe.
L’obligation de réception du logiciel par le client et la clause de « recette »
- Prévoir une procédure de « recette » en annexe avec établissement d’une recette à chaque phase de l’élaboration du logiciel spécifique afin d’attester de sa conformité aux besoins du client.
- Etablir un procès-verbal dressant les recettes provisoires et la recette définitive.
Un plan d’assurance qualité (PAQ) : il permet d’établir des critères de qualité afin de garantir le maintien de la qualité et donc le bon fonctionnement du logiciel.
- Le client pourra alors vérifier si logiciel livré est conforme à ses exigences spécifiques.
- Le PAQ pourra faire l’objet d’une annexe détaillant : quoi (livrable) ? quand (phases) ? combien (le planning) ? comment (processus de réalisation) ? où ?
La nature des développements : s’agit-il d’un logiciel propriétaire (appartenant au développeur) ou existe-t-il des briques de logiciel libre ?
La titularité de la propriété intellectuelle sur les développements spécifiques, la remise ou non de codes sources ainsi que la garantie en cas de contrefaçon : organise-t-on une cession des droits d’auteur au profit du client ? Ou bien l’éditeur souhaite-t-il garder la titularité des droits d’auteur attachés au logiciel original ?
La sécurité et confidentialité des données
La clause de protection des données personnelles et la nécessité d’établir un avenant spécifiquement dédié en cas de sous-traitance.
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Par Katia Beider et Oriana Labruyère, Avocates, pour le blog La Robe Numérique