Violences domestiques et cybersurveillance : la charge de la preuve
Les cas de violences conjugales et intra-familiales impliquent souvent des situations où il peut être difficile de recueillir des preuves. La nature privée et souvent cachée de ces actes rend la collecte de preuves encore plus délicate. Pourtant, il est essentiel de pouvoir établir la véracité des allégations afin de protéger les victimes et de garantir que les auteurs soient tenus pour responsables de leurs actes.
La charge de la preuve est une règle de base en droit qui détermine qui, dans un conflit, doit apporter les preuves pour soutenir ses arguments. En clair, c'est la responsabilité de prouver que ce que l'on avance est vrai. Selon le cas et les lois en vigueur, cette responsabilité peut incomber à celui qui accuse ou à celui qui se défend.
Que ce soit dans le cadre du droit civil ou pénal, la question de la preuve revêt une importance capitale dans la lutte contre toutes formes de violences et d'abus, notamment les violences domestiques, le cyberharcèlement et la cybersurveillance. En droit civil, la protection de la vie privée et le respect du RGPD sont des enjeux majeurs lorsqu'il s'agit de collecter et d'utiliser des preuves.
Violences domestiques et cyberviolence en droit pénal
Les violences domestiques sont un phénomène connu mais souvent sous-estimé, qui peut prendre différentes formes: physique, émotionnelle, économique et sexuelle. Dans de nombreux cas, les victimes sont soumises à une emprise psychologique de la part de leur partenaire abusif, ce qui rend extrêmement difficile pour elles de demander de l'aide ou de quitter la relation. L'emprise se manifeste souvent par des tactiques de manipulation, de contrôle et d'intimidation, visant à maintenir un pouvoir sur la victime.
Mais l’on observe également une nouvelle forme de violence émerger au sein des violences domestiques: la cyberviolence. La CEDH reconnaît comme cyberviolence les actes de violation informatique de la vie privée, d’intrusion dans l’ordinateur de la victime ainsi que la prise, le partage et la manipulation des données et des images, y compris des données intimes.
Le cyberharcèlement, quant à lui, est une forme de violence qui utilise les technologies de l'information et de la communication pour harceler, intimider ou menacer une personne. Ce type de harcèlement peut prendre différentes formes, telles que la diffusion non consensuelle d'informations personnelles, la création de faux profils en ligne pour diffamer ou espionner la victime, ou l'envoi répété de messages insultants ou menaçants. Le cyberharcèlement peut avoir des conséquences graves sur la santé mentale et émotionnelle des victimes, les isolant davantage et compromettant leur sécurité en ligne et hors ligne.
Enfin, la cybersurveillance est devenue un sujet de préoccupation croissant dans les cas des violences domestiques. En effet, de nombreux partenaires abusifs utilisent les technologies de l'information pour surveiller et contrôler leurs victimes. Ce type de cyberviolence concerne notamment l'installation de logiciels espions sur les appareils électroniques des victimes, l'accès non autorisé à leurs comptes en ligne et la diffusion non consensuelle d'informations personnelles. Ces actes constituent des violations graves de la vie privée et peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur les victimes.
La charge de la preuve en matière pénale
En droit pénal, la charge de la preuve pèse sur l'accusation. Cela signifie que c'est à l'accusateur de démontrer la culpabilité de la personne accusée. Selon l'article 427 du Code de procédure pénale, les infractions peuvent être établies par tout moyen de preuve, et le juge décide en fonction de son intime conviction. En d'autres termes, il revient au tribunal d'évaluer les éléments de preuve présentés et de décider si l'accusé est coupable ou non. Cette disposition met en lumière l'importance d'une enquête approfondie et de la collecte de preuves solides pour étayer les accusations portées et prouver l’infraction.
La charge de la preuve en matière civile
En matière civile, la charge de la preuve incombe au demandeur, c’est-à-dire celui qui invoque le droit. L’article 9 du Code de procédure civile énonce ainsi qu’«il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Ainsi, lorsque le demandeur apporte la preuve de sa prétention, il y a alternance de la charge de la preuve et il revient au défendeur de le contredire.
La recevabilité de la preuve obtenue de manière déloyale
Avant le revirement de jurisprudence relatif à l’admissibilité d’une preuve obtenue de façon déloyale2, il était impossible de faire valoir une preuve obtenue par des procédés illégaux auprès d’un juge civil. Une preuve déloyale peut désormais être admise dans le débat judiciaire si, à l’issue d’une mise en balance des droits en cause, celle-ci s’avère être indispensable et proportionnée au but poursuivi. La jurisprudence sociale de la Cour de cassation a d’ailleurs récemment admis la recevabilité de la preuve obtenue de façon déloyale sous réserve que celle-ci respectait des conditions de proportionnalité.3
Ce revirement de jurisprudence est en principe transposable en matière familiale, notamment pour les procédures judiciaires de divorce.
L’opposabilité des preuves obtenues de manière déloyale ne constitue donc plus systématiquement une violation du RGPD : l’on considère que le juge doit réaliser une mise en balance des intérêts des personnes. Un équilibre doit être trouvé entre le droit à la preuve et le droit à la vie privée en ce qu’une telle production, lors d’une instance judiciaire, constituerait un détournement de finalité et un manquement grave au principe de minimisation (article 5 du RGPD). Dans la mesure où une atteinte est portée aux données personnelles d’un tiers, celle-ci doit être strictement nécessaire et proportionnée à la finalité poursuivie.
Ce revirement de jurisprudence illustre le tiraillement entre la volonté d’améliorer l’arsenal juridique à disposition des personnes lésées (l’apport de la preuve étant loin d’être chose aisée), et le besoin de protéger l’intimité de la vie privée et les données à caractère personnel des individus.
On comprend dès lors que l’enregistrement à son insu d’une personne suspectée de cyberviolence par son conjoint aux fins d’administrer des preuves tenant à sa demande devant le juge civil, pourra être admise si elle est justifiée et proportionnée, mais aussi et surtout indispensable.
La partie poursuivante pourra, dès lors, en matière de cybersurveillance, apporter des preuves dites illégales. Il reviendra à la partie poursuivie d’apporter des preuves inverses afin de démontrer qu’elle n’a pas commis les actes illégaux de cybersurveillance qui lui sont reprochés.
Cette nouvelle décision jurisprudentielle pourrait remettre en cause les articles 259, 259-1 et 259 – 2 du Code civil. En effet, en matière de divorce, ces derniers interdisent, en principe, les preuves obtenues par violence ou fraude, ou encore les constats s’il y a eu violation de domicile ou atteinte illicite à l’intimité de la vie privée. On peut donc craindre une complexification et un allongement de la durée des affaires contentieuses introduites à la suite de l’obtention d’une preuve recueillie par le biais de manœuvres ou stratagèmes.
Que ce soit en matière de divorce ou de droit social, les conséquences risqueraient d’être importantes au regard des enjeux soulevés ainsi que du rôle d’appréciation des juges du fonds sur ces preuves obtenues illégalement pour démontrer des faits, eux-mêmes illégaux.
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